Responsabilité des personnes publiques en matière de propriété littéraire et artistique : compétence unique du juge judiciaire par dérogation aux principes gouvernant la responsabilité des personnes publiques.

Tribunal des conflits, 7 juillet 2014 (2 espèces), M. M. c/Département de Meurthe-et-Moselle, n° C3955 ; M. M. c/Maison départementale des personnes handicapées de Meurthe-et-Moselle, n° C3954

Marc Le Roy
Docteur en droit
Chargé de cours à l’Université de Tours
www.droitducinema.fr

Le tribunal des conflits vient par deux arrêts de clore définitivement un débat qui agite la communauté des juristes depuis des dizaines d’années. Ce sont ainsi dorénavant les juridictions de l’ordre judiciaire qui sont compétentes pour connaître des litiges relatifs à la propriété littéraire et artistique y compris dans les situations qui relèvent traditionnellement de la compétence de la juridiction administrative. Pour reprendre un adage juridique bien connu, on peut donc affirmer qu’en matière de propriété littéraire et artistique, la compétence juridictionnelle suit le fond du droit applicable. 
Les personnes morales de droit public sont soucieuses de faire respecter leurs droits d’auteur mais il leur arrive parfois de violer elles-mêmes ce droit. En l’espèce, M. M reproche à la maison départementale des personnes handicapées de Meurthe-et-Moselle (MDPHMM) d’avoir violé les droits d’auteur qu’il détenait sur plusieurs de ses photographies. Il reproche ainsi à la MDPHMM d’avoir utilisé quatre de ses photographies en dehors de toute cession de droits. M. M reproche également au département de la Meurthe-et-Moselle d’avoir, dans le cadre d’un contrat l’unissant au département, exploité illicitement plusieurs de ses photographies sans mentionner son nom sur ces dernières tout en ne l’informant pas de leur parution. M. M évoque ainsi à l’encontre de ces deux personnes morales de droit public une violation du droit patrimonial et du droit moral qu’il détient sur ses photographies et décide en conséquence de saisir le Tribunal administratif de Nancy. M. M effectue plusieurs recours visant à engager la responsabilité de la MDPHMM et du département de la Meurthe-et-Moselle pour la violation du droit d’auteur. Le Tribunal administratif de Nancy a, par une ordonnance de référé du 25 janvier 2011, accordé à M. M une provision de 650 euros à valoir sur une éventuelle indemnisation. Le 16 octobre 2012 le TA de Nancy a par un jugement au fond condamné la MDPHMM à indemniser M. M à hauteur de 908 euros. Le même jour, le TA de Nancy a par trois jugements rejeté les recours de M. M visant à voir condamner le département de Meurthe-et-Moselle. Mécontent de ces décisions, M. M décide de saisir la Cour administrative d’appel de Nancy pour demander l’annulation des quatre jugements rendus le 16 octobre 2012 par le TA de Nancy. La Cour administrative d’appel renvoie alors ces requêtes au Conseil d’Etat comme le prévoit l’article R. 811-1 du Code de justice administrative. Constatant la présence d’une « question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des autorités administratives et judiciaires » au sens de l’article 35 du décret du 26 octobre 1849, le Conseil d’Etat décide de saisir le Tribunal des conflits afin que ce dernier détermine l’ordre juridictionnel compétent pour statuer sur ces questions relatives à la propriété littéraire et artistique.
Il appartiendra au Tribunal des conflits de s’interroger sur l’épineuse question de la compétence juridictionnelle dans le cadre d’un conflit reposant sur une violation du droit de la propriété littéraire et artistique par une personne publique. Si le Code de la propriété intellectuelle prévoit une compétence a priori réservée au juge judiciaire, les règles traditionnelles qui organisent le dualisme juridictionnel pourraient, en réalité, réserver à la juridiction administrative un certain nombre de compétences pour trancher les litiges relatifs à la propriété littéraire et artistique. En définitive, l’occasion est donnée au Tribunal des conflits de trancher une fois pour toutes la question discutée de la place du dualisme juridictionnel dans le droit de la propriété littéraire et artistique.
Le Tribunal des conflits a tranché sans nuance par deux décisions du 7 juillet 2014. En s’appuyant sur l’article L. 331-1 du Code de la propriété intellectuelle, le Tribunal considère dans ces deux arrêts que seule la juridiction judiciaire est compétente pour rechercher une responsabilité fondée sur la méconnaissance par une personne publique des droits de propriété littéraire et artistique. Cette solution particulièrement attendue referme définitivement les légitimes questionnements doctrinaux entourant l’interprétation de l’article L. 331-1 du Code de propriété intellectuelle. Le Tribunal des conflits considère ainsi que cet article attribue un bloc de compétence au juge judiciaire lorsqu’est en cause une méconnaissance de la propriété littéraire et artistique en reprenant sa décision dégagée en matière de dessins et modèles en 2011. Cette solution a pour inconvénient de contrevenir aux règles traditionnelles de réapparition de compétences entre ordres juridictionnels, mais a pour avantage d’unifier de façon pratique l’intégralité d’un contentieux dont la répartition des compétences juridictionnelles pouvait s’avérer difficilement lisible. Au final, Si l’ordre administratif est dessaisi du contentieux de la propriété intellectuelle (I), c’est pour consacrer utilement un bloc de compétence au profit du juge judiciaire en la matière (II). 

 

La suite dans le Lamy droit de l'immatériel de septembre 2014, page 39

 

Marc Le Roy

Docteur en droit

droitducinema.fr

 

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